Claire Obscur Admin
Date d'inscription : 10/01/2016
| | Le placard | |
- Ok, pour l’instant on ne voit pas grand-chose. Mais tu vas voir, ça va changer. Bientôt tu seras contente de pouvoir lorgner par ce trou de serrure. Rholàlà ! Incroyable tout ce que j’ai vu par ces petits trous rencontrés tout au long de ma vie… Je discute avec Sylvie. Sylvie c’est mon épouse. Je n’en reviens toujours pas d’avoir pu trouver une épouse.Ma vie n’avait rien eu de palpitant jusque là, et jamais je ne me serais douté de l’avenir doux qui s’offrait à moi.Il faut vous dire que j’ai passé la plupart de mon enfance, caché dans un placard riquiqui. Quand cela s’avérait nécessaire, je prenais soin d’enlever la clef et m’y enfermer moi-même. Ça commençait souvent de la même façon ; lorsque mon beau-père rentrait saoul comme un cochon. Au début, longtemps après le décès de mon père, ma mère rencontra un homme qu’elle fréquenta durant 3 mois et qui semblait prêt à nous épouser tous les deux, ma mère et moi. Il nous épousa le jour de mes 4 ans. C’est à quatre ans et un jour que ma mère me montra pour la première fois comment me réfugier dans le placard. Un placard qui n’aurait pas été tout noir, si elle avait eu le temps, avant de prendre les coups qui allaient lui pleuvoir dessus, de sortir la clef du trou de la serrure après l’avoir tournée. Heureusement mon beau-père ne vit jamais son manège, trop saoul pour s’apercevoir que je n’étais pas dans les parages. Quand je ressortais, ma mère, tant elle était tuméfiée, avait quasiment deux têtes bleues, noires et rouges qui viraient dans les jours suivants à d’autres couleurs que j’aurais tout loisir d’observer plus tard par le trou de la serrure. Un jour, entendant mon beau père arriver plus tôt que d’habitude, elle eut juste le temps de me montrer le placard et de murmurer « file ». C’est là que j’eus l’idée de prendre la clef, de m’enfermer, et de la retirer. Et la lumière filtrée fut. Et ce que je vis me terrifia. Au début il y eut des jambes, des jambes qui se levaient, chaussées de grosses grolles, vers le ventre qui était au dessus des deux autres jambes fines de ma mère. Puis son visage apparut un bref instant derrière des poings instables. C’est le corps de ma mère à genoux, et les pieds d’en face qui venaient à sa rencontre qui me firent comprendre que les trous de serrures montrent des réalités pas gentilles. Ensuite sa tête s’abaissa jusqu’à cogner le sol et à la place des pieds, je vis des marteaux plein de doigts s’abattre avec une régularité stupéfiante. La dernière fois que je sortis du placard, ce fut pour voir ma mère partir dans un sac noir à fermeture éclair, et mon beau-père emmené par des gendarmes. Les voisins me recueillirent en attendant que les services sociaux fassent leur travail, très vite cependant. Chez eux, Je fus intimidé parce que je ne les connaissais pas, mais je demandais où se trouvait le placard. Je m’y réfugiais et je m’aperçus que ce trou de serrure là était joli. Il montrait des choses agréables… bisous, sourires sur le canapé d’en face, je pouvais même voir la télé que les voisins disposèrent de sorte que je puisse la regarder par le petit trou. Je regardais Mickey, à travers mes larmes qui pleuraient ma mère. Je mangeais aussi du gâteau au chocolat que je n’arrivais pas à ne pas saler au passage de mes lèvres inondées de larmes. C’était ce même gâteau, que j’avais vu faire par mon aussi ronde, souriante et appétissante voisine qui avait éclairé mon nouveau trou de serrure. Je m’aperçus, lorsque l’on m’emmena pour le foyer, que j’y serais bien resté encore un peu chez les voisins, et peut-être même que j’aurais accepté de les voir autrement que par le trou de serrure du placard. J’aurais même pu me résoudre à devenir le « mon biquet » que ma voisine avait choisi pour moi. Lorsque j’arrivais, chétif, perdu, apeuré, désorienté, avec la boule au ventre dans ce foyer pour orphelins, je compris vite qu’il me fallait trouver un placard en urgence. Dernier arrivé, j’étais une cible de choix pour les anciens durs de dur. Comme j’étais un expert en placard, je repérais très vite ceux qui auraient des choses à me raconter à certaines heures. En attendant, par besoin, comme si mon équilibre en dépendait, je répétais mon nom. « Je m’appelle Paul Pôloin. Je m’appelle Paul Pôloin, maman m’appelait Pô ». J’ai souvent pensé que si elle avait su que je n’en aurais pas (de pot), elle m’aurait surnommé autrement. Les années passèrent, mes lacunes scolaires et la peur des autres me conduisirent bien souvent dans des cagibis en tous genres, munis d’un trou de serrure. Je me disais que tôt ou tard je finirai au placard, mais je n’étais pas pressé d’y aller car je les savais démunis de trous de serrure conformes à l’idée que je m’en faisais. Je me contentais des placards que les entreprises me fournissaient immanquablement au bout d’un certain temps. Et puis, un jour où mon œil était collé à la fenêtre d’un placard dans un couloir plein de casiers et penderies diverses, je sursautais. J’avais cru voir bouger dans le trou de la serrure d’en face. Impossible, me dis-je, il ne peut pas y avoir quelqu’un derrière ce trou de serrure, et même si c’était vrai, je ne pourrais pas le voir d’ici. Cependant, il me sembla qu’un œil, en face, se fermait. Il avait cligné. Je reculais, le cœur battant. Quelques minutes plus tard, la porte s’entrouvrit doucement. Une main apparut, une touffe de cheveux roux, un pied, et l’œil qui avait séjourné derrière son trou de serrure regarda le mien. J’ai pensé que deux points d’interrogations avaient peut-être trouvé leur moitié, et qu’ensemble ils avaient des chances d’avoir un trou de serrure de la vie, bien à eux, et au grand jour.Elle s’appelait Sylvie Pala.Sylvie Pôloin. Ça sonnerait mieux ! Elle a dû penser comme moi car à partir de là, nous nous sommes mis à vivre.Sylvie pas là et Paul Pô loin avaient fait du chemin l’un vers l’autre. Les portes s’ouvraient. Les trous de serrure disparurent. Nous avons appelé notre fille, Vera. Vera Pôloin aimait se cacher et regarder la vie à travers des lunettes qu’elle a dû porter très tôt et qui étaient elles-mêmes derrière des trous de serrure, qui revinrent. Nous avons eu une belle vie, jusqu’aux rides et jusqu’aux cheveux blancs. - Ok, pour l’instant on ne voit pas grand-chose. Mais tu vas voir, ça va changer. Bientôt tu seras contente de pouvoir lorgner par ce trou de serrure. Tu le sais toi, tout ce que l’on peut voir par le trou d’une serrure. Aaaaah, la voilà ! Elle est jolie notre fille avec ses lunettes de vue de loin. - Tu vois, alors qu’est-ce que je t’avais dit, hein ? C’était pas une chouette idée de demander cela dans notre testament ? Un trou de serrure télescopique sur le dessus de notre cercueil, pour continuer à voir la vie ? Et peut-être même aussi, qu’en regardant bien, à certaines heures, on pourra observer l’autre vie… juste histoire de savoir où on va mettre les pieds. Tu le vois, toi, l’autre trou de serrure ? Car tous deux nous sommes bien placés pour savoir que si les trous de serrures de se ressemblent pas, ils peuvent en cacher un autre.
Dernière édition par Claire Obscur le 10.03.17 18:57, édité 2 fois |
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10.03.17 18:33 par Claire Obscur