Le poète persuadé d'être laid.
Il avait toujours les souliers sales, décousus, fatigués
et donc les chaussettes mouillées les jours de pluie, qui sentaient fort.
- Parfois il venait en pantoufles. Aussi âgées que ses godillots.
Il ne disait mot ; à peine un bonjour qu'il avait dû entamer un matin et jamais fini de prononcer...
- Puis il disparaissait dans les rayons, étouffant son pas, soulevant ses semelles... ?
bloquant sa respiration, taisant une page tournée, un auteur effeuillé. En admiration.
Toujours il était silence, une présence que l'on oublie, jusqu'au bond brutal de sa question :
"Que me conseillez-vous ?". Apparition soudaine du bonhomme, l'oeil vif, la lippe sur le giron, les ongles noirs acceptant la tasse blanche et chaude du café frais, :
la fuite de son regard vous prenait soudain en otage de son mal-être.
- Car il hurlait la vie dans ses choix ! autant qu'il vomissait.... sur l'alphabet de sa santé.
Un deux janvier pas très froid, brumeux certes - et cela a du l'arranger - il s'est tu, et
par tout ce goémon resté sur place, à la cale, je m'en suis doutée : "Il n'est pas venu".
Dans le sucre tendu qu'il refusait, dans les lignes de Delerm, de Gounelle, d'Hugo
et dans ses bouts de papier griffonnés qu'il me glissait (pour "correction" - pour "offrir"...)
- Où n'ai-je pas su lui dire qu'il était beau, si vrai....si vivant à la bibliothèque ?
.
Il surgissait comme un mort sorti d'outre-tombe.
Oh comme j'ai manqué de mots pour chasser son ombre ! ...:
celle qui restait à la porte, son boulet, son passé : la Moribonde !
Il fuyait d'ailleurs aussi vite qu'il franchissait le seuil
de la bibliothèque.
Et tournera toujours le Monde
pas très vite, pas très droit, pas très serein....
A moins que la forte marée dépose un matin
un poète tout propre libre et d'humeur vagabonde.
Valérie Benz
08/01/17
09.01.17 11:55 par Vividecateri