Écrit et paru sur Ipagination en mars 2015
J'ai eu envie de le repartager.
On ne la touche pas, non, on ne la touche pas.
Elle en a vu de l’eau couler sous les ponts.
Elle en a vu des ceux qui avaient mal, sur la peau, dans les yeux et le cœur.
Elle a pleuré aussi des fois, avec ou sans eux, mais souvent sans, et à la nuit, dans le froid bleu de la solitude. Le même bleu que là où elle a mal.
Elle a pleuré pour eux, et peut-être bien par eux, avec de l’eau amère qui brûlait ses yeux, et lui coulait le nez. Ça creusait la peau, ça faisait des plis partout. Ça faisait des trous dans sa mémoire.
On ne la touche pas, non on ne la touche pas.
Elle en a vu des eaux couler des ponts des yeux. Ben, oui, les ponts ! Ça fait des bosses au dessus des vides… Et des vides elle en a plein partout, et des bosses aussi dessous ses yeux gonflés.
Des fois elle se voit dans l’eau dessous les ponts. Des fois elle sait plus à qui sont les rides de ce qu’elle voit… c’est peut-être à l’eau, non ? Oui, ça doit être ça, tous ses sillons là, c’est pas à elle. Pensez-vous, c’est pas à elle. Oh, non, c’est pas à elle. Elle est profonde l’eau qu’il y a sous les ponts. Ça l’attire, parfois, ça l’attire. Elle sait bien que les ponts, ça la démange… l’eau aussi. Est-ce que ça gratte encore quand on est dans l’eau ?
On ne la touche pas, non, on ne la touche pas.
Elle a mis de l’espace entre elle et sa douleur… La douleur vieille qu’elle sait plus. Et la douleur jeune, celle de tous ces ceux qui la regardent, qui la montrent du doigt, qui la crient, qui la veulent pas. Tous ces ceux, là, qui la crachent, qui la cognent avec les pieds, qui lui font les bleus… ça saigne pas en dehors, ça saigne pas en dehors, et pis c’est pas grave même quand c’est en dehors, parce que ça sort… ça sort, oui.
C’est dans le dedans que ça fait lamorragie. Ça peut pas guérir ça, ça peut pas. Lamorragie ça fait mourir. Ça va partout, ça court dans les artères, ça fait la bile amère, encore plus que l’eau des yeux. Ça cuit la vie.
On la touche pas, non, on la touche pas.
Si on l’approche elle se débat… Elle veut pas qu’on lui parle, elle veut pas voir les mots, y en a qui font trop mal. Elle veut pas qu’on lui parle, elle a assez à faire à se parler toute seule… Elle trouve même pas les réponses à ses questions, pourquoi elle irait trouver les réponses à ceux des autres. Elle trouve plus ses questions non plus, elle les a semées comme les petits cailloux pointus qui lui blessaient les pieds… Des fois elle les cherche, mais ça s’est grignoté et puis l’a les pieds tout écorchés, et la tête toute rapiécée… ça a fuit par les coutures, ça colle dans ses cheveux.
Elle se cache, elle est vilaine… Elle baisse la tête. Elle baisse les yeux.
On la touche pas, non, on la touche pas.
La douleur è s’ voit… Alors elle marche jamais au même endroit, comme ça on sait pas. Ceusse qui la voient, la voient qu’une fois, y z‘ont pas le temps de voir son cœur qui pleut. C’est incachable ça… Et même que peut être c’est sale, et même que peut-être c’est laid, et même que peut-être ça sent mauvais. Alors le jour c’est elle qui se cache, c’est ça l’art des ponts. Et dans la nuit froide et bleue quand elle marche on voit pas ses bleus. Et pis comme ça, on s’arrête pas pour la montrer du doigt, on voit pas ses trous, son visage ravagé par l’eau qui brille. Elle brille pas assez pour l’éclairer… on entend pas sa voix qui cherche dans la nuit qui répond pas. Et pis comme ça on la voit pas tout simplement… Elle disparaît et…
On la touche pas, non, on la touche pas.
07.02.16 9:16 par Vividecateri