Un conte pour une veillée...Quand il fait froid, devant un bon feu de bois... de chêne...
Le chêne
Dans cette région d’oliviers, Pierre est le seul à posséder un chêne.
Il est planté dans la cour à dix mètres de la petite maison.
Ce chêne doit avoir une centaine d’années. C’est son arrière grand-père qui l’a planté, le jour de la naissance de son premier fils.
Pierre et le chêne se ressemblent. Ils sont robustes.
Pierre vénère cet arbre.
Quand il était enfant.
Il jouait à l’ombre de cet ami.
Quand il devint adolescent, il aimait rêver sous la ramure.
Quand il devint menuisier, comme son père.
Il venait quelquefois s’asseoir contre le tronc.
Il lui faisait partager ses joies, ses peines, ses projets de jeune-homme.
Le papa de Pierre mourut et c’est sous le chêne que Pierre décida que; à presque 25 ans, il serait temps de se marier.
Il fréquentait une jolie fille du village qui accepta de lui donner sa main.
Et c’est tout naturellement qu’on dressa la table de la noce sous l’arbre.
C’est là aussi qu’on installât le premier berceau, une fille.
Ensuite…
La seconde, la troisième, la quatrième, la cinquième, la sixième…
Toutes des filles !!!
De jolies petites avec des yeux verts et des cheveux couleur des blés.
Pierre était désespéré… Six filles, l’une après l’autre.
Cela faisait sourire, au village.
Pierre adore ses filles, certes, mais une fille, ça n’entre pas dans les rêves, ni dans la vie d’un père.
Une fille ne garde pas le nom de la maison.
Une fille ça part avec un homme que l’on connaît à peine.
Ou, si elle reste célibataire, elle traîne avec l’amertume d’être mal aimée.
Tandis qu’un garçon. Il peut tenir le maillet, le ciseau ou le rabot.
Il peut suivre son père à l’atelier, au jardin, à la pêche, au bistrot.
Pierre vient s’asseoir au pied de l’arbre et rêve d’un fils.
L’arbre grandit doucement, il étend paisiblement ses branches.
Il vit avec une fécondité tranquille.
Pierre envie cet arbre rempli d’oiseaux, d’insectes, de vent.
Il lève la tête, regarde son arbre, il lui parle.
Il écoute la brise chanter avec les feuilles.
L’arbre est riche de glands qui ne donnent que des chênes mâles.
Au printemps. Pierre vient d’avoir quarante ans.
Son épouse met au monde un autre enfant, un garçon! Enfin!
Lorsqu’on lui présente l’enfant.
Pierre lève les bras aux ciel, jure dix fois le nom du tout-puissant.
Il prend son fils dans ses bras, il court embrasser la maman en chantant
Il pose l’enfant dans le berceau.
Il sort.
Sur le pas de la porte, il dit en s'adressant à l’arbre.
- C’est fait.
Le jour même.
Il se met au travail, il abat le chêne, dans la joie.
Sans remords et sans pitié pour l’arbre qui craque et gémit.
Les filles regardent le père avec étonnement mais sans tristesse.
Les enfants sont cruels parfois.
Les gens qui passent et qui lui reprochent d’abattre un si bel arbre, s’entendent répondre :
- Aujourd’hui, j’ai un fils ! Demain je lui ferai un lit.
L'arbre tombe!
Immédiatement, il l’ébranche et porte la cognée et la scie dans la chair végétale qui lui semble être sa chair.
L’arbre et Pierre sont comme des jumeaux.
Ils sont de la même race.
Il veut transmettre le destin de l’arbre et le sien à son enfant.
Comme une abdication de ses pères.
Ils savent, l’arbre et Pierre
Que le chêne a été planté pour devenir le lit de son fils.
Il va façonner un lit d’homme, large et pesant comme les meubles d’antan.
Un lit bien calé sur ses pieds qui tiendra pendant des centaines d’années.
Il sera le plus beau, car fait de ses mains, avec amour.
Le temps passe, le trop long temps, celui de laisser sécher le bois.
Pierre a maintenant cinquante ans.
Il fabrique enfin, le lit de son fils.
Il le fait massif, solidement assemblé, vaste pour toute une famille et ce, pour des générations.
Sur les panneaux de la tête, il sculpte des rameaux de chêne portant des feuilles et des glands.
Le lit est terminé.
Son fils a dix ans.
On l’installe dans une chambre.
La chambre du garçon.
Son parrain le tapissier, lui fait cadeau d’un beau sommier.
Pierre y dépose un épais matelas de laine.
La mère et les filles le garnissent de jolis draps de lin parfumés à la lavande et d’un duvet en plumes d’oie.
Le soir, Pierre y conduit son fils.
Il le couche au milieu du lit monumental.
On dirait un petit prince des contes de fées.
Il ne tient pas plus de place, qu’un oisillon dans le chêne de Pierre.
Le père s'installe au pied, en attendant que petit Pierre s’endorme.
On entend un léger murmure dans la chambre.
Comme le chant du vent dans les feuilles d'un arbre.
Le souffle paisible d'un enfant et celui d'un père heureux.
25.02.16 16:30 par Sortilège